Actualité

26/07/2023

AGA et BSCPE – Quel régime fiscal face aux différés d’imposition ?

Fiscalité des entreprises du patrimoine et des organismes sans but lucratif

L’introduction progressive dans le droit français d’instruments juridiques d’actionnariat salarié, a nécessairement conduit, au terme de réformes successives, à l’essor de plusieurs dispositifs réglementés d’intéressement des salariés au capital des entreprises, tels que : les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (ci-après « BSPCE »), ou encore les attributions gratuites d’actions (ci-après « AGA »).

Ces différents dispositifs s’inscrivent parmi les outils à disposition des praticiens pour mettre en place des managements packages, qui font l’objet d’une actualité jurisprudentielle récurrente depuis les arrêts du Conseil d’Etat du 13 juillet 2021, marquant une attention particulière du juge et du législateur sur les mécanismes de managements packages.

Destinés aux salariés et aux mandataires sociaux sous conditions, les BSPCE et AGA bénéficient d’un régime social et fiscal favorable.

  • Concernant les BSPCE attribués depuis le 1er janvier 2018 :

Les BSPCE répondant aux conditions de l’article 163 bis G du Code général des impôts, bénéficient d’un régime d’imposition ad hoc.

Le gain net réalisé lors de la cession des actions souscrites en exercice des BSPCE est égal à la différence entre le prix de cession des titres net de frais et des taxes acquittés par le cédant et leur prix d’acquisition.

L’article 163 bis G du Code général des impôts précise que le gain est imposable dans les conditions définies à l’article 150-0 A dudit Code ou aux 1 ou 2 de l’article 200 A.

Dès lors, il convient de distinguer deux situations :

(i) Le bénéficiaire exerce son activité dans la société depuis au moins 3 ans à la date de la cession :

Par principe, le gain est imposé au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8% mais le bénéficiaire peut opter pour l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu.

Peu important le choix effectué, le cédant peut bénéficier de l’abattement fixe de l’article 150-0 D ter du CGI de 500 000 € en faveur des dirigeants de PME partant à la retraite, et ce jusqu’au 31 décembre 2024.

Le gain sera également soumis aux prélèvements sociaux au taux de 17,2% et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) sera susceptible de s’appliquer en fonction des revenus du foyer fiscal.

(ii) Le bénéficiaire exerce son activité dans la société depuis moins de 3 ans à la date de la cession :

Les gains sont obligatoirement soumis à l'impôt sur le revenu au taux majoré de 30 %, sans possibilité de bénéficier de l’abattement fixe de 500 000 € en faveur des dirigeants de PME partant à la retraite, et sans possibilité d’option pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu.

Le gain sera également soumis aux prélèvements sociaux au taux de 17,2% et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) sera susceptible de s’appliquer en fonction des revenus du foyer fiscal.

  • Concernant les AGA attribuées depuis le 1er janvier 2018 :

Il convient de distinguer deux types de gains :

(i) Le gain d‘acquisition, égal à la valeur réelle de l’action à la date d’attribution définitive, c’est-à-dire au terme de la période d’acquisition ne pouvant être inférieure à 1 an, constitue un complément de salaire imposable dans la catégorie des traitements et salaires.

Ce gain est imposé au niveau du bénéficiaire différemment selon que son montant dépasse ou non le seuil de 300 000 € :

    • La fraction du gain d’acquisition inférieure à 300 000€ est imposée au barème progressif avec un abattement de 50%. Les prélèvements sociaux s’élèvent à 17,2% sur le montant brut du gain d’acquisition (dont 6,8% de CSG déductible dans la limite de 50% sur la fraction non abattue).

    • La fraction du gain d’acquisition supérieure à 300 000 € est imposée selon les règles des traitements et salaires de droit commun. Les prélèvements sociaux s’élèvent à 9,7% (dont 6,8% de CSG sont déductibles).

(ii) Le gain de cession constitué par la différence entre le prix de cession des actions et le gain d’acquisition, est imposé au prélèvement forfaitaire unique de 12,8%, ou sur option selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu avec le cas échéant l’application de l’abattement pour départ à la retraite mentionné ci-avant. Les prélèvements sociaux s’élèvent à 17,2% et la CEHR est susceptible d’être applicable.

Si le régime d’imposition des gains résultant de la cession d’AGA ou d’actions reçues en exercice de BSPCE est précisément déterminé par le Code général des impôts, quelques doutes pouvaient exister quant à l’application des mécanismes de sursis et de report d’imposition en cas d’apport de tels titres.

  • S’agissant des BSPCE

L’article 163 bis G indique que le gain net de cession « est imposé dans les conditions prévues à l’article 150-0 A et aux 1 ou 2 de l’article 200 A ».

Il existait jusqu’à présent une incertitude quant à l’appréciation des modalités d’imposition et la possibilité en raison de cette terminologie d’appliquer, en particulier, le mécanisme de sursis d’imposition prévu à l’article 150-0 B du Code général des impôts en cas d’apport de titres reçus en exercice de BSPCE.

Dans le cadre d’un rescrit (BOI-RES-RSA-000127), l’Administration fiscale est venue clarifier la situation en indiquant que le gain résultant de l’apport de titres reçus en exercice de BSPCE ne pouvait pas bénéficier du mécanisme de sursis d’imposition de l’article 150-0 B du Code général des impôts.

En effet, l’Administration fiscale considère que l’article 163 bis G du Code général des impôts renvoie expressément à l’article 150-0 A du même Code et les termes de l’article 163 bis G ne peuvent pas s’analyser comme en « un renvoi implicite à l’ensemble du régime des plus-values mobilières et, notamment, à l’article 150-0 B du CGI relatif au sursis d’imposition ».

Ainsi et en l’état de la doctrine administrative, le gain résultant de l’apport serait obligatoirement imposé au prélèvement forfaitaire unique de 12,8% ou au barème progressif de l’impôt sur le revenu, en sus des prélèvements sociaux au taux de 17,2%, quand bien même le titulaire des titres ne percevrait aucune liquidité, ce qui est susceptible d’entrainer des difficultés de trésorerie pour le cédant.

En l’absence de confirmation expresse en ce sens, il est néanmoins possible de considérer que la solution à retenir serait similaire en présence du mécanisme de report d’imposition de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts.

Cette doctrine n’étant pas dénuée de toute critique, il est possible de légitimement s’interroger sur le sort que lui réserveront les juridictions administratives.

  • S’agissant des AGA

Une lecture combinée des dispositions de l’article 80 quaterdecies du CGI et de la doctrine administrative (BOI-RSA-ES-20-20-20) permet d’établir la grille de lecture suivante au regard des mécanismes de sursis ou de report d’imposition :

(i) Une opération dite « intercalaire » d'échange sans soulte d'actions résultant d'une opération de fusion, de scission, d'offre publique, de division ou de regroupement réalisée conformément à la réglementation en vigueur pendant la période de conservation des actions gratuites n’entraine pas l’imposition immédiate du gain d’acquisition et de la plus-value, en raison de l’application d’un différé d’imposition. Le fait générateur de l’imposition surviendra lors de la cession des actions reçues en échange.

Il est important de souligner que la doctrine administrative ne précise pas la solution à retenir en matière d’apport de titres. Dans ce contexte, il est légitime de considérer que le gain d’acquisition et la plus-value constatée lors de l’apport feront l’objet d’une imposition au titre de l’année de l’apport.

(ii) Une opération d’apport de titres à une société contrôlée ou non intervenant post période de conservation entraine l’imposition immédiate du gain d’acquisition et de la plus-value de cession entre les mains de l’apporteur.

(iii) Une opération d’apport de titres à une société ou à un fonds commun de placement dont l'actif est exclusivement composé de titres de capital ou donnant accès au capital émis par la société ou par une société qui lui est liée par une personne détenant, directement ou indirectement, moins de 10 % du capital de la société émettrice lorsque l'attribution a été réalisée au profit de l'ensemble des salariés de l'entreprise et que la société bénéficiaire de l'apport détient, directement ou indirectement, moins de 40 % du capital et des droits de vote de la société émettrice n’entraine une imposition des gains d’acquisition et plus-values que lors de la cession des titres reçus en rémunération dudit apport. Il n’y a pas d’imposition immédiate dans ce cas particulier.

Ainsi, dans le cadre des opérations d’apport les plus courantes, l’apporteur ayant bénéficié d’actions gratuites ne peut pas bénéficier des mécanismes de sursis et de report d’imposition prévus par les articles 150-0 B et 150-0 B ter du Code général des impôts. Cette situation engendre donc une imposition immédiate du gain d’acquisition et de la plus-value de cession au moment de l’apport à une société sans que, corrélativement, l’apporteur perçoive des liquidités lui permettant de solder ladite imposition.

 

Que ce soit dans le cadre des BSPCE ou des AGA, l’impossibilité de bénéficier des mécanismes de sursis ou de report d’imposition, au moins sur la plus-value constatée lors de l’apport desdits titres, constitue immanquablement un frein à la réalisation d’opérations de réorganisation patrimoniale et de développement économique des entreprises.

Un assouplissement pourra peut-être être apporté dans le futur par le législateur.

Un sujet porté par l'équipe Fiscalité des entreprises du patrimoine et des organismes sans but lucratif

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