Propriété intellectuelle, IT, RGPD

16/05/2022

La cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit : un risque de requalification en donation ?

Propriété intellectuelle, IT, Protection des données

Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, n°19/14142 M. B.A. / SARL Akis Technology et M. Y D’Z Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 8 février 2022, un jugement qui a suscité l’intérêt de la communauté des spécialistes en propriété intellectuelle.

Le tribunal a retenu que la cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit constitue une donation, laquelle lorsqu’elle n’est pas dissimulée, doit respecter le formalisme de l’article 931 du Code civil (acte authentique passé devant notaire), sous peine de nullité. Dans cette affaire, deux associés, personnes physiques, avaient déposé, auprès de l’EUIPO (l’Office européen de la propriété intellectuelle) une marque et des dessins-et-modèles en vue d’une exploitation par les deux sociétés dont ils étaient associés.  L’un des associés ayant quitté le capital de la première société et la seconde ayant été liquidée, l’associé restant avait alors créé une nouvelle société à laquelle il a cédé ses droits sur la marque et les dessins et modèles, à titre gratuit et sans obtenir le consentement préalable de son co-titulaire (ce que celui-ci n’a pas réussi à prouver). Dès lors, ce dernier a assigné son ancien associé et la société cessionnaire afin de solliciter la requalification et la nullité du contrat de cession de marque et des dessins et modèles au motif prépondérant, qu’en l’absence de contrepartie financière, l’acte devait s’analyser en une donation devant être consentie par acte authentique.  Les défendeurs soutenaient que l’acte ne pouvait constituer une donation, faute de caractère irrévocable et de « stipulation de donation » et consistait à tout le moins en un don manuel non soumis au formalisme de l’article 931 du Code civil. Le tribunal devait donc se prononcer sur la question de l’applicabilité de l’article 931 du Code civil relatif aux cessions de droits de propriété intellectuelle conclues à titre gratuit. Conformément aux stipulations de cet article, tout acte de donation entre vifs doit être passé devant notaire sous peine de nullité. La jurisprudence admet qu’il est possible de déroger à ce formalisme en cas de dons manuels, qui imposent la tradition (c’est-à-dire la remise physique) de la chose donnée, ou de donations déguisées ou indirectes, dont les conditions de forme suivent celles de l’acte dont elles empruntent l’apparence. A ce titre, le tribunal a rappelé que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle ne dérogent pas à ce principe, et l’article L.714-1 de ce code (dans sa version applicable au litige) n’exige qu’un écrit aux fins de transfert de propriété d’une marque. En l’espèce, le contrat de cession emportait explicitement transfert de propriété de la marque et des dessins et modèles « à titre gratuit ».  Suite à ce constat, le juge a considéré qu’il s’agissait d’une « donation non dissimulée et portant sur des droits incorporels, comme tels insusceptibles de remise physique ». Par conséquent, il a conclu à la nullité de l’acte de cession, celui-ci ayant été conclu sous seing privé et non devant notaire. Si le raisonnement du tribunal se justifie en l’espèce, nous nous interrogeons toutefois sur l’absence totale de caractérisation de l’intention libérale pourtant nécessaire à la qualification de donation... En conséquence, une application de principe aurait des conséquences pratiques non-négligeables ; il est en effet commun de réaliser ce type de cessions gratuites dans le cadre notamment d’opérations intragroupe.  Il nous reste donc à attendre un éventuel arrêt d’appel… L’équipe Propriété Intellectuelle Aklea